Le blog précédent décrivait les nombreux types de gaspillages possibles au sein d’une organisation. Bien que Taiichi Ohno – en son temps – n’mentionnait que sept, vous avez pu lire les nombreux autres types de gaspillages auxquels prêter attention. A mon avis, et sur base de mon expérience, le gaspillage des compétences humaines non utilisées – disons le capital humain – est un des plus importants gaspillages de nos jours. C’est particulièrement vrai dans les organisations de services, où le facteur humain est un des plus grands facteurs de différenciation influençant le choix du client. Même après une optimisation extrême et une automatisation de vos processus, il restera très probablement encore des tâches humaines qui seront déterminantes pour la performance organisationnelle. Jetons donc un coup d’oeil à quelques réflexions psychologiques intéressantes vous permettant de réduire à un minimum le gaspillage de talent humain dans votre organisation.
Flow
Un précédent blog traitait du Flux, mais il s’agissait du flux logistique. Le Flow, également la traduction de flux en anglais – et aussi connu comme «la zone» -, un terme plutôt lié à la psychologie, est au moins autant important dans le cadre de l’excellence opérationnelle.
Signification de « Flow«
Selon Mihaly Csikszentmihalyi, le Flow est un profond sentiment de satisfaction ou de bonheur (à ne pas confondre avec plaisir). Il utilise ce terme pour désigner la force extérieure avec laquelle les gens dans le Flow sont emportés à des niveaux élevés de bonheur et de performance, comparable à un flux d’énergie, en étant au travail. Une caractéristique fondamentale de l’expérience Flow est que lorsque vous exécutez une tâche (plutôt complexe), celle-ci requiert votre entière attention.
Pourquoi le Flow est-il important?
Les gens travaillant régulièrement dans le Flow ne sont pas seulement plus heureux, mais ils travaillent bien plus et mieux au lieu de par exemple bavarder, de surfer sur le web, ou de passer du temps précieux à d’autres activités non productives. Par conséquent, lorsque vous veillez à obtenir un maximum de Flow dans votre organisation, vous minimiserez ainsi le 8ème type de gaspillage et vous optimiserez le Capital Humain de votre organisation.
Caractéristiques conditionnelles du Flow
Dans son livre “Good Business – Leadership, Flow and the Making of Meaning”, Mihaly Csikszentmihalyi décrit les 8 conditions suivantes pour que quelqu’un éprouve un sentiment de Flow:
- Des objectifs clairs: afin d’éprouver le Flow lors du travail, il est essentiel que la personne sache quelles tâches effectuer et pour quand. La connaissance par le travailleur des objectifs supérieurs auxquels son travail contribue fera la différence.
- Feedback immédiat: le personnel doit savoir à temps (idéalement en temps réel) si le travail fourni répond aux attentes. Ce feedback peut provenir des collègues ou d’un manager, mais c’est encore mieux quand le travailleur peut obtenir cette information de l’activité elle-même.
- Défis et compétences doivent être en équilibre: de trop grands défis provoqueront du stress, voire de l’angoisse ce qui, à plus long terme, peut conduire à un burn-out. A l’inverse, si une personne manque de défi suffisant, elle s’ennuiera, ce qui peut mener à un état de bored-out. Les deux – l’angoisse et l’ennui – entraîneront une diminution de l’attention. Le schéma ci-à droite illustre comment le travailleur « grandit » dans son emploi: il doit d’abord acquérir les compétences nécessaires, puis être défié à utiliser ces compétences acquises. C’est seulement après l’acquisition de nouvelles compétences qu’il pourra affronter davantage de défis et ainsi de suite, atteignant chaque fois un niveau supérieur par des connaissances plus grandes, accroissant ainsi son expertise de manière continue, mais équilibrée.
- Concentration profonde: lorsque les conditions ci-dessus sont remplies, l’implication peut devenir si forte que l’action est portée par une vague sans faille d’énergie, ce qui rend le travail simple, même quand il s’agit de tâches complexes.
- C’est le présent qui importe: travaillant dans un état de Flow, la personne ignore totalement les soucis et problèmes tracassants de la vie quotidienne.
- Le contrôle n’est pas un problème : dans le Flow, la personne a un fort sentiment d’être en contrôle de la situation.
- La notion de temps s’altère: lorsque quelqu’un est dans le Flow, il a l’impression que le temps file.
- Perte de l’ego: tout en étant immergé dans l’expérience, le travailleur a non seulement tendance à oublier ses soucis et ses problèmes, mais également à s’oublier soi-même.
Comment créer le Flow au sein de votre organisation?
Voyons comment un manager peut insuffler le Flow dans son organisation, sur base des principes ci-dessus. Voici 7 façons d’optimiser votre Capital Humain.
1. Définissez des objectifs clairs pour tout le monde
Mihaly Csikszentmihalyi souligne l’importance du sens du travail. Il se réfère au psychiatre autrichien Viktor Frankl, qui a déclaré que les gens ne sont pas heureux par volonté d’être heureux, mais que le bonheur est plutôt la conséquence inattendue lorsqu’on travaille et contribue à un objectif plus grand que soi. Il s’agit dans ce cas de motivation intrinsèque, en contraste avec la motivation extrinsèque, qui est, elle alimentée par des avantages personnels, comme un salaire ou toute autre forme de rémunération. Par conséquent, la mission et les valeurs – de votre organisation – doivent être claires pour tous les travailleurs, à tous les niveaux: non seulement pour le management, mais également (voire même principalement) pour les personnes au niveau opérationnel. Car ce sont eux qui détermineront si la vision et la stratégie seront finalement réalisées – ou pas. Plus important encore est que tout le monde sache comment son travail et ses tâches spécifiques contribuent à l’objectif supérieur, à savoir les objectifs de l’organisation, comme expliqué et illustré dans le premier paragraphe de ce blog. A titre d’exemple: même si peu de gens associent l’armée à la paix, un officier de l’armée de l’air me racontait un jour à quel point son travail – et surtout celui de son équipe – est important pour le maintien de la paix (en Europe). Mais aussi pour des activités moins prédéfinies – comme des réunions – il est important de déterminer des objectifs clairs, et si possible, de les relier aux objectifs supérieurs.
2. Fournissez un minimum de Feedback
Les gens ont besoin de savoir si leur travail les rapproche de leurs objectifs. Ignorant la qualité de votre travail est non seulement inefficace (vous pouvez perdre beaucoup de temps à faire du mauvais travail sans en être conscient), mais également frustrant pour le travailleur même. Ce qui encore plus important, c’est que sans feedback, il n’y aura ni apprentissage, ni croissance pour le travailleur; ce qui conduira finalement à l’apathie.
Il y a 3 principales sources de feedback:
- Feedback d’autres personnes: les travailleurs peuvent obtenir un feedback de leur supérieur, de leurs collègues, des clients, etc. Pour un manager aussi, il est important d’obtenir du feedback, y compris celui de leur personnel. Inutile d’insister sur le fait qu’il est important de fournir le feedback au sujet du travail et non pas envers la personne même.
- Feedback provenant du travail lui-même: certains emplois ont des mesures de performance implicites, comme par exemple le maximum de temps pour accomplir une tâche ou un nombre maximum de défauts, etc.
- Le feedback issu de normes personnelles: parfois, seules des normes subjectives, déterminées par le travailleur-même sont applicables. Un représentant commercial peut, par exemple, s’efforcer de visiter 8 clients par jour, tandis que personne ne le lui impose, pour autant qu’il obtienne les chiffres de vente attendus.
3. Prenez soin de la croissance personnelle de vos employés
Zoomant sur l’équilibre défis – compétences décrit ci-dessus, Mihaly Csikszentmihalyi utilise le diagramme ci à droite pour illustrer l’importance de la croissance professionnelle pour que les employés soient le plus possible dans le Flow. En tant que manager, vous devriez vous efforcer à ce que votre personnel soit le plus souvent possible dans les états mentionnés dans le coin supérieur droit: Contrôle, Excitation, mais idéalement dans le Flow.
Embauche des bonnes personnes
Un personnel adéquat commence évidemment avec l’embauche des bonnes personnes, non seulement à partir d’un point de vue des compétences et de l’expérience, mais aussi par une bonne correspondance entre les valeurs personnelles (individuelles) et les valeurs de l’organisation – ou sa culture. Il est généralement plus facile pour quelqu’un d’acquérir de nouvelles compétences que d’abandonner ses valeurs et ses croyances personnelles. Si vous avez suivi une formation en PNL (Programmation Neuro-Linguistique) vous connaissez alors très probablement le concept des 6 « niveaux logiques« illustrés ci-dessous. Suivant ce concept, les valeurs et croyances sont plus fondamentales (c-à-d elles sont plus profondément ancrées ou sont à un niveau supérieur de la pyramide) que les capacités, comme par exemple les compétences.
Jim Collins, dans son livre “Good to Great – Why Some Companies Make the Leap… and Others Don’t”, affirme même que l’organisation doit d’abord embaucher des personnes avec les bonnes valeurs, avant de définir sa mission et stratégie détaillée. Il y consacre même un chapitre entier.
Tenez vos gens au défi
Pour en revenir au principe de Flow, cela signifie que pour garder vos collaborateurs motivés d’une manière durable, il vous faut – en tant que manager – leur offrir régulièrement de nouveaux défis, mais également leur fournir le support nécessaire à l’acquisition de nouvelles compétences afin de pouvoir réaliser ces défis.
4. Permettre de se concentrer
Inutile de dire que les interruptions ou distractions trop fréquentes sont contre-productives, surtout en ces jours où les gens ignorent difficilement le son de leur smartphone. Les interruptions sont une source non négligeable de stress et de perte de concentration. Pour les tâches où la concentration est essentielle, les managers ont intérêt à prévoir un environnement où les travailleurs ont la possibilité de s’isoler. Le télétravail peut également être une solution, pour autant que le travailleur ne soit pas perturbé trop souvent là aussi.
5. Offrez la possibilité de contrôle
Offrez aux employés la possibilité de contrôler eux-mêmes, de sorte qu’ils puissent choisir la façon selon laquelle ils effectuent leur travail. Lorsque les objectifs sont clairs et que les travailleurs savent ce qui est attendu, tandis que le feedback est suffisant, alors il n’y a pas besoin de contrôle rigoureux par un manager, et certainement pas besoin de micromanagement.
6. Permettez une flexibilité de temps
Sauf pour les emplois où la dépendance du temps est inévitable – comme le travail sur une ligne d’assemblage – ce sera bien plus motivant pour vos collaborateurs lorsqu’ils auront une certaine liberté à organiser leur travail eux-mêmes en fonction du temps.
7. Prenez soin de l’ego des autres
Bien qu’une caractéristique d’être dans le Flow soit de perdre son ego, le respect de l’ego de vos travailleurs est essentiel pour leur permettre d’atteindre l’état de Flow, alors qu’à contrario, les managers font bien de limiter leur propre ego en présence de leur équipe. Etaler son autorité hiérarchique en tant que manager – n’est pas très sage, et ne se fait certainement pas lorsque ça humilie les travailleurs.
J’espère que ce blog vous convainc que la philosophie Lean n’est pas synonyme de réduction aveugle des coûts, même quand il s’agit de bannir les gaspillages. Finalement, j’aimerais partager quelque chose que j’ai appris au cours de mes études MBA, plus particulièrement dans le cours RH: dans les organisations occidentales, plus particulièrement les entreprises anglo-saxonnes, les chefs les mieux payés après le PDG sont généralement les CFO, alors que dans les entreprises japonaises, il s’agit du directeur des Ressources Humaines.
S’il vous plaît partagez votre expérience – ou opinion – avec ce type de gaspillage (ou tout sujet lié à Lean ou à la gestion des processus) dans la case Commentaires ci-dessous. Les 3 premiers recevront le livre « Good Business: Leadership, Flow et le Making of Signification » de Mihaly Csikszentmihalyi (version papier en anglais), livré gratuitement en Europe. cadeau pour les 3 premiers lecteurs qui écrivent des commentaires learnful et ont une adresse en Europe. Si vous n’habitez pas l’Europe, ou si vous n’êtes pas parmi les 3 premiers à commenter, vous recevrez une version numérique d’un autre livre cité dans ce blog.
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