« Le temps, c’est de l’argent » n’a jamais été autant d’actualité qu’aujourd’hui; en particulier dans le domaine opérationnel et dans celui de la logistique. Bien que ceci soit principalement vrai pour les entreprises manufacturières, en particulier celles avec beaucoup de stocks ou “travail en cours” (Work-in-Progress) – comme des produits semi-finis coûteux -, la fluidité des opérations est devenue également de plus en plus importante pour les organisations de services et les sociétés actives dans la distribution.
En effet, les clients semblent avoir de moins en moins de patience. Pensez aux magasins en ligne qui promettent de livrer la marchandise le lendemain lorsque la commande est faite par exemple avant 17 heures.
Ce blog explique le 3ème principe de Lean, selon Womack & Jones, dénommé “Flow” ou en français “Flux”. Continuez donc à lire et fluidisez votre organisation.
La signification de Flux selon Lean
Flux réfère au débit (ou throughput) du processus. Un processus fluide est donc caractérisé par un débit optimal du travail (pensez au mot “workflow”). Pour un produit physique, cela signifie généralement un minimum de temps pour convertir les matières premières en un produit fini. Mais le concept de Flux est aussi important pour les organisations de service, pour lesquelles Flux réfère à la réactivité; par exemple le temps entre une demande d’un client – comme une commande – et la livraison du service.
Les nombreux effets de Flux
Bien que le concept de Flux puisse sembler plutôt abstrait, il est la base pour beaucoup – sinon la plupart – des outils Lean. Voici les principaux outils basés sur le principe de Flux:
Flux pièce à pièce
Même si le travail par lots ou ‘en batch’ peut dans certains cas être inévitable – pensez à un four dans une boulangerie ou à la rédaction d’un rapport annuel par un service financier – le flux continu devrait être la règle autant que possible. Même les fours peuvent fonctionner dans un flux continu, comme c’est souvent le cas dans les biscuiteries industrialisées. Le travail par lots signifie en effet des temps d’attente, à leur tour considérés comme des pertes
de temps, l’un des 8 types de gaspillages suivant Lean.
Bannir tout gaspillage
Le concept de Flux n’aide pas seulement à éliminer les gaspillages du type ‘perte de temps’; mais finalement tous les types de gaspillage. En effet, en vous concentrant sur le délai de mise en œuvre le plus court possible, vous bannirez par conséquent également les autres types de gaspillage. Comme déjà mentionné, le travail par lots, mais aussi tout inventaire ou stock a tendance à diminuer le Flux ou la fluidité d’un processus. Aussi, tous mouvements et transports inutiles seront plus facilement détectables, puisque ceux-ci font croître le temps global du processus et diminuent donc l’efficience. Ce dernier exemple nous mène à l’effet suivant…
Alignez vos activités primaires ou créatrices de valeur
Dans la mesure du possible, organisez les étapes créatrices de valeur du processus (appelées activités primaires) physiquement en ligne. Pensez à une ligne d’assemblage où seules les activités primaires – celles contribuant directement à l’assemblage – sont concentrées et où toute autre activité est exclue de la ligne. Cela aide vraiment à découvrir toute «interruption de flux» et donc à agir en conséquence.
Aussi dans un environnement administratif cela aidera. Même si l’organisation est totalement digitalisée (paperless), les interruptions de flux peuvent être découvertes grâce à des techniques plus avancées telles que le process mining; pour en savoir plus, lisez le paragraphe “La variabilité de flux” de ce blog. D’autre part, il sera également bien souvent plus efficace de placer les gens qui effectuent des activités d’un même processus dans un même bureau, ne fusse que pour des raisons de communication. En effet, la séparation physique d’employés travaillant pour un même processus dans différents locaux – ou pire encore, dans différents bâtiments – a souvent un impact négatif sur le Flux et donc sur l’efficience, vu l’interdépendance de leurs activités.
Règle d’or de Stalk & Hout
De manière tout à fait similaire au sujet précédent, la règle d’or de Stalk & Hout préconise qu’une création de valeur – donc une activité primaire – ne devrait jamais être retardée par une activité n’apportant pas de valeur directe. Tout comme une ligne d’assemblage ne devrait jamais être interrompue ou retardée par exemple par une tâche administrative comme un oubli de commande; voire même pas par une activité de réparation. D’où l’importance de la Maintenance Productive Totale (en anglais TPM), le sujet suivant.
Maintenance Productive Totale
La relation entre l’entretien optimal et le Flux? Eh bien … pas de perturbation: un entretien bien géré prévient au maximum les pannes. Cela peut sembler évident dans un site de production où les machines nécessitent un entretien; mais c’est également le cas pour les sociétés de service, tout comme les organisations purement administratives. En effet, comment motiver le personnel à travailler dans un bureau où le chauffage ne fonctionne pas en plein milieu de l’hiver? Ou quelle est la productivité du personnel administratif lorsque le réseau informatique est en panne, par exemple suite au fait que le département informatique n’a pas prévu les correctifs de sécurité ou a ignoré d’installer l’anti-malware?
Méthode SMED (Single-Minute Exchange of Die)
Un concept très bien connu dans le secteur manufacturier, en particulier quand une même ligne de production est utilisée pour plusieurs produits, ou variantes de produits; et où l’adaptation de la ligne de production pour l’autre produit doit être aussi rapide que possible.
Mais la méthode SMED peut aussi être utilisée dans des organisations de services. Ainsi, les compagnies aériennes visent toutes à changer et ravitallerravitailler leurs avions dans un laps de temps le plus court que possible lorsque qu’ils sont sur à terre; puisqu’un avion –
l’actif le plus cher d’une société aérienne – est surtout rentable quand il transporte, c’est-à-dire dans l’air...
Juste-à-temps ou Just-in-time (JIT)
De plus, le concept juste-à-temps peut être considéré comme un effet du principe de Flux. En effet, l’objectif principal du JIT est de réduire au maximum les temps d’exécution d’un processus, en supprimant les stocks (qui sont par définition une interruption de Flux). Et si vous croyez que JIT est uniquement applicable en production, pensez alors à l’importance de JIT par exemple dans le domaine de la restauration (fast food) ou pour les services de livraison à domicile, comme les services de colis.
Kanban
Ceci est encore un outil Lean, plus particulièrement un outil de gestion du Flux. Et bien que, comme la plupart des autres outils Lean, Kanban a été initialement appliqué dans le secteur manufacturier, il est une belle illustration de la façon dont les outils Lean se sont propagés vers les organisations de services. En effet, mon expérience est que quasiment toute société développant des logiciels – ou tout département informatique appartenant à une organisation de taille importante – applique Kanban pour le développement de logiciels ou utilisent tout au moins les tableaux Kanban représentant le progrès des tâches, afin de gérer le Flux de leur processus de développement de logiciel.
La loi de Little
Même la loi de Little – un concept peut-être moins populaire – et pas vraiment spécifique à Lean, mais plutôt connu dans le domaine de la “théorie des files d’attente” – est fortement liée au principe de Flux car elle vise également à réduire le temps d’exécution d’un processus.
Une vue systémique sur le principe de Flux
Parce que le principe de Flux est non seulement une question de processus propres (internes), je trouve particulièrement inspirant le « Flow framework » comme illustré par Bicheno et Holweg dans leur livre « The Lean Toolbox”. Par le biais de ce cadre, ils recommandent une approche plus structurelle – même systémique – du principe de Flux. En effet, votre organisation n’est jamais une île, mais fonctionne dans une chaîne d’approvisionnement, où les clients déterminent le Takt Time, c’est-à-dire le « métronome de vos opérations ». Même lorsque vos clients sont des citoyens, vous faites probablement partie de – quelque chose de similaire à – une chaîne d’approvisionnement.
Par conséquent, Bicheno et Holweg recommandent de commencer par une analyse de votre capacité opérationnelle, et d’en tenir compte lorsque vous la présentez au marché. Cela signifie que vous devez comprendre la variation de la demande et évaluer si vous avez la capacité de la gérer, ceci afin d’éviter les goulots d’étranglement et des clients insatisfaits. Puisqu’il n’est pas possible d’expliquer ce cadre dans son entièreté en un blog, j’illustre de façon concise comment celui-ci peut aider à gérer la demande afin d’optimiser le Flux.
Optimisation du Flux par la gestion de la demande
Comprenez la demande
Listez les sources de la demande: la liste des sources, par type de produit, type de client et / ou par zone géographique – ou voire encore d’autres sources – vous aidera à acquérir de meilleures connaissances sur la façon dont vous pouvez gérer la demande d’une manière plus ciblée. Ex.: lorsque vous avez plus de capacité pour un groupe de produit, vous pouvez stimuler les ventes de celui-ci. Si au contraire, vous avez une sous-capacité, il est évidemment préférable de ne pas promouvoir ce groupe de produits.
Particulièrement quand vous avez un nombre restreint de clients, qui représentent un chiffre d’affaires plutôt élevé, bien connaître ses clients et les écouter attentivement est essentiel. Ex.: une société productrice d’électricité fournissant à des clients industriels, a intérêt à suivre de très près ses plus importants clients, afin de prévoir l’impact d’évènements spéciaux – comme des grèves ou des arrêts de production – sur la demande d’électricité (qui n’est d’ailleurs pas stockable).
Distinguez la « demande valorisante” et la “demande par défaillance« : la demande valorisante survient lorsque la capacité opérationnelle est utilisée pour répondre à la demande des clients; alors que la demande par défaillance arrive quand la capacité sert par exemple à rectifier une mauvaise prestation ou à réparer un produit défectueux. En connaissant le pourcentage de votre capacité utilisée pour cette dernière, ou pour les temps d’arrêt, etc., vous pourrez mieux vous concentrer sur l’optimisation et ainsi croître le pourcentage de la demande valorisante. Inutile de mentionner que d’autres concepts Lean comme “réussir du premier coup » (de l’anglais “right the first time”) vous aidera à optimiser le pourcentage de la « demande valorisante ».
Déterminez et surveillez la variation de la demande au fil du temps (par heure, jour, semaine, mois, année) par un suivi de graphiques comprenant des limites, afin de pouvoir identifier les pics “hors de contrôle” et analyser leurs causes. Ex.: les entreprises productrices d’électricité surveillent en permanence leur demande, non seulement parce qu’ils doivent fournir – en temps réel – en fonction de la demande, mais aussi afin de déterminer les nombreux paramètres ayant une incidence sur la fluctuation de la demande: la météo, la température, la période de la journée, les périodes de vacances, etc. Ils utilisent même des
techniques comme les réseaux de neurones artificiels permettant d’améliorer en permanence les prévisions de la demande sur base de la variation de la demande passée.
Mesurez le temps de réponse “end-to-end”, à savoir le temps nécessaire pour répondre aux demandes des clients de bout en bout du processus. Ceci est davantage important lorsque vous utilisez des SLA (Service Level Agreement) avec vos clients.
Nivelez la demande
Gérez le niveau de demande Externe
- Récompensez la fidélité: remplacez les rabais de quantité par des réductions pour les commandes régulières.
- De même, évitez toute campagne de marketing ou de vente périodique (par exemple mensuelle, trimestrielle ou annuelle) causant des saisonnalités, incitez plutôt les commandes régulières..
- Ainsi, organisez des campagnes marketing qui stimuleront la vente lors des périodes (trop) calmes. Ex.: une banque qui a acquis sensiblement moins d’argent d’épargne en Septembre stimulait ses clients à épargner en ce mois en offrant un taux
d’intérêt plus élevé ce mois-là. - Appliquer le principe de « variété aussi tard que possible »; c’est à dire, quand vous offrez une variété dans vos produits ou services, placez le “point de découplage” le plus tard possible dans le processus. Ex.: quand vous voulez offrir un produit ou service personnalisé – comprenant des options plutôt exceptionnelles – voyez comment vous pourriez le personnaliser à la fin du processus, afin de maintenir le processus le plus commun et standard possible.
- Lorsque cela est possible, offrez des conditions suivant la “gestion des recettes” (Revenue management), des techniques permettant d’optimiser l’utilisation des capacités. Un exemple typique est quand les compagnies aériennes offrent des rabais de type “Early Bird” ou des “vols de dernière minute”, afin de maximiser l’utilisation de la capacité des avions, et donc de leurs revenus.
- Connaissez – ou anticipez – la variation le plus en amont possible dans la chaîne d’approvisionnement; songez à l’effet coup de fouet (bullwhip effect) comme expliqué dans le blog du 29 de Mars 2015. Par conséquent, échangez avec vos partenaires de la chaîne d’approvisionnement toute information permettant d’optimiser l’ensemble de cette chaîne.
- Bannissez le principe de valorisation des stocks, qui a comme effet pervers de faire paraître les stocks comme créateurs de valeur, alors qu’en réalité, ils représentent bien au contraire un coût. En effet, encore trop souvent, les règles comptables attribuent une valeur aux stocks, alors qu’ils sont un des 8 types de gaspillage suivant Lean. L’application de Lean Accounting peut aider à éviter cela.
Gérez le niveau de demande Interne
- Dans les environnements de production, réduire le nombre de composants d’une nomenclature produit (Bill-of-Materials) et accroitre ceux qui sont communs à différents produits finis, aide à mieux gérer la variation de la demande ; ce genre de standardisation est évidemment applicable pour les organisations de services. Vous pourrez même obtenir un document à ce sujet (voir la fin de ce blog). L’utilisation d’un même châssis pour différents modèles de voiture est un exemple bien connu dans l’industrie automobile. L’architecture orientée service (SOA ou Service Oriented Architecture) dans l’industrie des logiciels est moins connu, mais permet également d’accroitre la réactivité et l’agilité en ré-utilisant des composants ou “services” déjà développés à d’autres fins ou pour d’autres clients.
- Évitez trop de ‘remises de travail semi-fini‘ pas seulement dans le secteur manufacturier mais aussi dans les services et les processus administratifs. Ces transitions entre les participants sont facilement repérables à partir d’un diagramme de processus: chaque changement de “Lane” ou “Couloir” représente une remise de travail à un autre participant du processus.
- Utilisez un stimulateur rythmique ou «pacemaker» pour les principaux processus ou pour l’entièreté de la chaîne d’approvisionnement, afin de lisser le flux entre les processus et activités.
- Appliquez une «politique RRS», à savoir comment convertir des “Strangers” en “Repeaters” et les “Repeaters” en “Runners”. Donnez la priorité à des commandes régulières de toute façon dans votre planification. Ces termes méritent une petite explication:
- Strangers: sont des produits ou services qui sont traités de façon irrégulière, et à intervalles imprévisibles.
- Repeaters: sont des articles traités d’une manière plus régulière, mais non fréquemment, c’est-à-dire à des intervalles de temps plutôt longs.
- Runners: sont traités régulièrement et assez fréquemment, comme par exemple chaque semaine.
Vous pourrez en savoir plus en consultant les slides suivants (anglais).
- Évitez les grosses commandes qui ont tendance à perturber les plannings réguliers; envisager le fractionnement de (trop) grandes commandes en plus petites peut aider.
- L’utilisation de cartes de contrôle, comprenant les “limites de contrôle”, comme Limite Supérieure de Contrôle (LSC ou UCL en anglais) et Limite Inférieure de Contrôle (LIC ou LCL en anglais). Ce principe est généralement appliqué à des critères de qualité, mais permet également de détecter les causes de changements de la demande sous-jacente; tout comme vous le feriez pour identifier les causes de changements en qualité.
Conclusion
Bien que cette liste d’outils basés sur le principe Flux ne soit très probablement pas exhaustive, j’espère qu’elle vous aidera. Si vous désirez approfondir davantage vos connaissances en cette matière, un autre livre intéressant – plutôt technique, mais très spécifique est celui de Rajan Suri ayant comme titre « It’s About Time: The Competitive Advantage of Quick Response Manufacturing« .
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